La question de savoir ce qu’est le qi (« chi », 气) arrive souvent dans l’esprit des personnes qui commencent une pratique de qigong ou de taiji, ou qui y réfléchissent. Pour certaines personnes, c’est un élément fondamental de la vie et de la pratique et nier son existence est une hérésie ; pour d’autres, c’est une absurdité antiscientifique et ça n’existe pas. De mon point de vue, la question de savoir si le qi existe n’est pas une question intéressante. Je vous laisse découvrir pourquoi dans les paragraphes qui suivent.
Comme souvent lorsqu’on veut discuter d’un concept philosophique ou d’un objet scientifique, il est utile de le définir. Voici la définition que j’ai retenu au fil de mes lectures et apprentissages.
气 (qi), l’énergie
Le mot dont on parle est le caractère 气, transcrit dans notre alphabet par “qi”. J’en décrirais la prononciation comme “tchi”, avec un “ch” allemand. Il n’est pas évident à définir. Il a au moins 4 sens possibles. Commençons par le plus simple :
Air, respiration
气 désigne, entre autres choses, l’air que nous respirons, ainsi que la respiration elle-même.
Énergie physique et métabolique
Dans les textes anciens comme dans des interprétations plus nouvelles, 气 désigne l’énergie au sens physique : thermique, cinétique, chimique, etc. Dans les ouvrages de Yang Jwing-Ming, spécialiste du qigong et des arts martiaux chinois et docteur en physique, c’est ainsi qu’il explique l’aspect universel de l’énergie “qi”.
C’est aussi l’énergie au sens métabolique, qu’on comprend toutes et tous intuitivement quand on dit “Aujourd’hui je n’ai pas d’énergie…” ou encore “Ces enfants me fatiguent ; ils ont trop d’énergie !”
Énergie spirituelle
Un autre aspect du mot 气 est son utilisation spirituelle ou mystique. Ce serait un fluide énergétique qui circule en nous, nous uni à la nature et permettrait des exploits surhumains. Pour bien des raisons, il est difficile de mesurer, et donc vérifier l’existence, d’un tel fluide.
Cela dit, qu’il existe ou non, c’est un fantastique outil de visualisation. Hors, la visualisation commence à être mieux comprise par la science comme outil d’influence du système nerveux. C’est donc un compagnon d’étude du mouvement qui a une valeur immense.
Le qi, est-ce que ça existe ?
Avec cette définition en tête, il est clair que certains aspects du qi existent (l’air, la respiration, l’énergie physique et métabolique). Il reste essentiellement la question de l’énergie spirituelle ou du fluide énergétique. C’est là qu’on arrive à l’idée que la question est en fait inintéressante. En effet, si ce fluide existe et a les propriétés prétendues par la théorie du qigong, alors faire les exercices prescrits par le taiji ou le qigong permet d’améliorer la circulation du qi et améliorer sa santé, qu’on « croie » à son existence ou non. Si ce fluide n’existe pas, les exercices ne perdent pas de leur intérêt. Leurs nombreux bénéfices que la science commence à mesurer demeurent.
De plus, pratiquer les exercices et les visualisations comme si le qi existait comme décrit dans la théorie (un fluide énergétique) permet en général d’améliorer leur pratique de toute façon. En effet, l’imagerie mentale, couplée au mouvement ou pas, montre de plus en plus sa valeur, de façon mesurable.
D’autre part, on ne peut nier l’importance culturelle du concept de qi.
Le qi, un modèle conceptuel utile
Cela nous mène à un des aspects de la façon dont je vois le qi, et comme je le considère en cours : un modèle conceptuel utile. En effet dans de nombreux cas, une fois la théorie expliquée et les élèves familier·e·s avec la théorie, les explications deviennent beaucoup plus courtes, faciles et précises. Quiconque a l’expérience d’un jargon professionnel sait exactement de quoi je parle ici.
En plus de ça, il existe un immense répertoire d’exercices qui incluent une forme de visualisation traditionnelle liée au qi. Parmi ces exercices, un grand nombre est utilisé largement pour améliorer la santé, la puissance martiale, ou d’autres aspects de la vie.
Une note sur l’énergie métabolique
Le qi comme énergie métabolique mérite une attention spéciale, et ce pour deux raisons.
D’une part, il existe en occident une certaine fatalité autour du niveau d’énergie. En effet, on s’entend souvent dire « aujourd’hui j’ai peu d’énergie, je ne vais pas pouvoir faire grand-chose ». La pratique du qigong ou du taiji avec en tête l’idée que ces exercices peuvent changer ces niveaux d’énergie peuvent empouvoirer les personnes qui les pratiquent et les aider à se sentir mieux ou à accomplir davantage. Évidemment, il faut être très prudent avec ce type d’idées. En effet, il est facile de tomber dans un excès culpabilisant, notamment envers les personnes souffrant de maladies chroniques.
D’autre part, il est bien possible qu’il existe une base mesurable à ces pratiques. En effet, le niveau d’énergie métabolique est en grande partie lié aux hormones, et on a déjà découvert certains liens entre le mouvement et les sécrétions hormonales. Je pense notamment aux études liant certaines poses à des variations d’hormones. Dès lors, il serait peu surprenant qu’une famille de disciplines qui a visé à affecter le niveau d’énergie des pratiquant·e·s depuis des siècles ait trouvé certaines façons plus efficaces que d’autres d’affecter les niveaux hormonaux dans la direction souhaitée.
Le qi, un élément culturel fondamental
Un autre aspect important lorsqu’on parle du qi dans des cours de taiji, de qigong ou d’arts martiaux chinois est son importance culturelle. En effet, pratiquer ces disciplines sans parler de qi, c’est comme étudier l’architecture européenne sans parler du Christ. Il manque une énorme partie du contexte culturel. D’autre part, tous les maîtres chinois auprès de qui il m’a été donné d’étudier en parlent, même si de façon différente. Certains sont critiques et sceptiques mais tou·te·s en parlent, d’une façon ou d’une autre.
La place du qi dans les cours de Wanbu Taiji
Pour ces raisons, je pense qu’une pratique de taiji, qigong ou arts martiaux chinois qui ne parlent pas du qi (même de façon critique) de la part d’un européen comme moi, est une prolongation de la logique coloniale. Je vise donc à décoloniser ma pratique et mon enseignement, en donnant au concept de qi la place qu’il mérite. Je réserve mon jugement sur son existence à l’avancée de la science, mais continue de l’utiliser comme modèle conceptuel, outil d’enseignement et élément culturel majeur.